Audrey : Bonjour Julien, merci d’avoir répondu présent. Pour commencer, peux-tu te présenter et nous parler un peu de toi et de ton entreprise ?
Julien : Bien sûr ! Moi, c’est Julien Thibeaud. Je suis le fondateur et dirigeant d’ICC Digital, une agence web spécialisée dans la création de sites internet. L’agence existe depuis un peu plus de 6 ans maintenant.
Notre métier, c’est principalement de concevoir des sites pour nos clients : ça va du simple site vitrine pour présenter une activité jusqu’au site e-commerce pour vendre des produits en ligne. Mais au-delà du développement, on propose aussi des services complémentaires, comme le référencement, la maintenance et l’hébergement.
Aujourd’hui, on est une équipe de 4 personnes : Maïlys, qui est cheffe de projet et développeuse, Ilona, développeuse, et Clément, qui est développeur en alternance. On fonctionne comme un pôle technique et on travaille souvent en partenariat avec des agences de communication qui ont besoin d’un prestataire pour la partie développement web. On est basé à Clisson et on a déménagé dans de nouveaux bureaux il y a environ 1 an.
・La vision de Julien
Audrey : Peux-tu nous raconter comment s’est passée la création de ton entreprise ?
Julien : Oui, alors au départ, j’ai commencé tout seul, en parallèle de mon poste de responsable e-commerce dans un grand groupe. Pendant un an, j’ai jonglé entre mon travail salarié et mes missions en freelance.
Puis, au bout d’un an, j’ai pris la décision de démissionner pour me consacrer à plein temps à mon activité. Petit à petit, les projets ont afflué, et j’ai pu commencer à recruter et à structurer l’agence. Aujourd’hui, on est 4 et l’équipe fonctionne très bien comme ça !
Audrey : Ce qui m’intéresse particulièrement dans ton parcours, c’est la façon dont tu as intégré la qualité de vie au travail dans ton entreprise. Est-ce que c’était une réflexion que tu avais dès le départ, ou est-ce que ça s’est construit au fil du temps ?
Julien : J’ai toujours eu conscience de son importance, et ça vient principalement de mon expérience passée dans un grand groupe.
Honnêtement, la marque employeur y était très mal développée. Il y avait un management qui ne faisait pas du bien-être des salariés une priorité.
Quand j’ai moi-même eu des responsabilités en tant que chef d’équipe, je me suis rendu compte que j’avais reproduit, malgré moi, des mauvaises pratiques de management. J’ai fait beaucoup d’erreurs, et c’est à ce moment-là que j’ai compris l’importance d’un bon environnement de travail.
Quand j’ai lancé ICC Digital, je voulais faire les choses autrement. Je voulais créer un cadre sain et motivant pour mes collaborateurs.
・Une démarche de QVCT évolutive
Audrey : Justement, comment as-tu fait concrètement pour garantir cette qualité de vie au travail ?
Julien : La première chose, ça a été mon approche du recrutement. J’ai fait le choix de passer par l’alternance, et aujourd’hui encore, c’est mon modèle.
Pourquoi l’alternance ? D’abord parce que j’aime accompagner des jeunes dans leur projet professionnel. Mais aussi parce que ça permet de former des collaborateurs à la façon dont on fonctionne en interne. Et puis, c’est aussi un avantage pour l’entreprise. Quand un alternant passe en CDI, il est déjà opérationnel, il connaît l’équipe, les méthodes de travail et les outils. Il n’y a pas de période d’adaptation compliquée.
Audrey : L’un des sujets qui revient souvent quand on parle de qualité de vie au travail, c’est la rémunération. Quelle est la politique pour toi ?
Julien : Alors, un point essentiel pour moi, c’était la transparence. Dans mes expériences précédentes, j’ai vu des écarts de salaire injustifiés et un manque total de visibilité pour les employés. J’avais l’impression que le salaire était à la tête du client, j’avais par exemple un écart de x2 avec un collègue, en ma défaveur ! Je ne voulais pas que ce soit comme ça dans ma boîte. J’ai donc mis en place une grille salariale transparente, accessible à tous.
Chez nous, tout le monde sait combien gagne chacun. Il y a un salaire fixe, mais aussi deux primes annuelles, basées sur des compétences mesurables et des objectifs clairs, et non pas parce qu’on est arrivé à l’heure comme j’ai pu le vivre.
Par exemple, pour un développeur, la maîtrise d’un langage de programmation peut débloquer une prime. J’ai mis en place quatre catégories :
J’ai mis en place une grille commune avec une vingtaine de points. Chacun peut donc se positionner en fonction des projets clients et de ses envies, ce sur quoi ils ont envie d'évoluer, de monter en compétences. Tout dépend évidemment du projet.
Ça permet d’avoir un système équitable et motivant.
Audrey : Comment as-tu construit cette grille ?
Julien : Je suis parti du salaire que j’estimais juste par rapport au marché et celui d’une personne qui cocherait toutes les cases. J'ai ensuite décliné chaque item en fonction de son importance. Par exemple, je n'ai pas mis des compétences qu'on utilise peu comme étant primordiales. J'ai vraiment axé sur des choses qu'on utilise tous les jours pour pouvoir rendre ces primes accessibles, l'objectif n'est pas de rendre une prime punitive. Mon objectif, c'est que mes collaborateurs aient la prime à chaque fois. D'ailleurs, on ne revient jamais en arrière parce que je pars du principe qu'une personne qui a acquis une compétence, c’est pour toujours. Donc la fois d’après, la prime sera supérieure ou égale.
Audrey : Comment tes collaborateurs ont réagi face à ce système ?
Julien : C’est plutôt très bien pris et très positif. La grille évolue et les primes aussi à chaque fois. C’est un système que j’ai mis en place dès le départ donc c’est assez naturel pour eux. D’autant plus que je l’explique dès l’alternance donc une fois que les personnes sont embauchées en CDI, elles connaissent déjà le système. Par contre, ça implique une contrainte : les augmentations ne peuvent pas être individuelles. Si quelqu’un veut négocier son salaire, je ne peux pas l’augmenter seul. Toute la grille doit suivre.
Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’augmentation. Lorsque j'étais salarié, mon salaire diminuait à cause de l’inflation. Je ne voulais pas ça pour mes collaborateurs. J’ai donc choisi d'indexer tous les salaires sur le SMIC. Ça signifie que si le SMIC augmente de 3%, alors tous les salaires augmentent aussi de 3% automatiquement. Pourquoi ? Parce que sinon, les employés perdent en pouvoir d’achat à cause de l’inflation.
Cette grille de compétences et donc de salaires, elle est ajustable, je les ai déjà retravaillées pour être le plus juste possible. Mon objectif à long terme c’est d’être au dessus des prix du marché et donc proposer des salaires plus élevés.
J’ai aussi mis en place l'épargne salariale. Aujourd'hui, chaque personne peut mettre 250€ par an sur un compte, l’entreprise multiplie par 3 soit 1000€ au total. C’est une épargne qui est bloquée pendant 5 ans, sauf cas de déblocage exceptionnel. Je ne m'interdis pas non plus d'augmenter ce plafond tout en restant raisonnable car si une personne a une énorme rentrée d’argent et veut la placer, je ne pourrais pas forcément suivre !
Audrey : Ce qui est intéressant, c’est que pour toi la rémunération passe en priorité quand on parle de QVT, là où d’autres parlent plus de bien-être par exemple.
Julien : Oui, je commence par la rémunération parce que pour moi, on travaille pour vivre, c’est la composante principale même si ce n’est pas la seule. A l’inverse, demain on me demande de travailler pour 10 000€ par mois dans une entreprise qui ne me plaît pas, je n'irai pas malgré le salaire. Par contre, travailler dans une entreprise qu'on adore mais pas payer à la hauteur de son talent, ce n'est pas mieux non plus. La qualité de vie au travail, c'est un ensemble de choses.
Audrey : On parle beaucoup du télétravail aujourd’hui. Comment l'as-tu intégré ?
Julien : Je propose deux jours de télétravail par semaine. Mais ce qui est important pour moi, c’est de laisser une vraie liberté à mes collaborateurs. Chez nous, il n’y a pas d’horaires fixes : chacun s’organise comme il veut, du moment que les objectifs sont atteints.
On essaie de ne pas mettre de RDV sur les jours de télétravail car le principe du télétravail, c’est de travailler d’où on veut et quand on veut. Et si la personne fait son travail correctement et en moins de temps, tant mieux pour elle. Je ne regarde pas les horaires.
On travaille en mode projet, en mode objectif. Donc si les objectifs sont atteints, ça fonctionne. On met systématiquement des objectifs qui sont mesurables, atteignables et discutables.
Si quelqu’un veut travailler de minuit à 5h du matin, il peut ! L’essentiel, c’est que le boulot soit bien fait. Le seul cadre qu’on a mis en place, c’est que tout le monde doit être présent le lundi car c’est la journée où l’on fait le point hebdomadaire sur les projets.
En termes d’horaires au bureau, c’est pareil, je suis flexible. Il y a une fourchette horaire mais chacun fait comme il veut et finalement ces horaires sont respectés naturellement.
Je ne veux pas que le travail devienne une contrainte. Ce n’est pas une prison.
Tout le monde a besoin de travailler mais ici, ce n’est pas un job alimentaire, enfin j’espère ! Il y a une conscience professionnelle. Je pense que c’est notamment dû à la transparence : je partage des éléments de l’entreprise comme le chiffre d’affaires. C’est comme ça que les collaborateurs se sentent impliqués aussi. Ils savent que si l'entreprise se développe comme elle se doit, ça sera bénéfique pour eux aussi. A l’inverse, si personne ne remplit ses objectifs, l'entreprise ne perdurera pas.
Audrey : Un autre aspect important de la qualité de vie au travail, c’est la hiérarchie et la gestion des équipes. Quel est ton avis ?
Julien : Chez ICC Digital, on a une hiérarchie plate. Je suis évidemment le dirigeant mais dans notre fonctionnement quotidien, on est tous collègues. J’ai toujours encouragé l’échange d’idées, et je suis à l’écoute des suggestions de chacun. Par exemple, quand une décision importante doit être prise, je préfère la soumettre à l’équipe pour qu’on en discute ensemble. J’ai aussi refusé de mettre en place des chefs intermédiaires. Même quand j’ai nommé une cheffe de projet, son rôle est d’organiser le travail, pas de "manager" les autres. Le but, c’est que chacun se sente responsable de son travail, sans avoir quelqu’un sur le dos en permanence.
Audrey : Tu parlais tout à l’heure de transparence sur le chiffre d'affaires, peux-tu nous en dire plus ?
Julien : Oui, totalement. Tous les mois, je partage avec l’équipe les chiffres clés de l’entreprise : le chiffre d’affaires, les charges et le bilan comptable annuel. Ça permet à tout le monde de comprendre la réalité de l’entreprise et de voir pourquoi certaines décisions sont prises.
・Les bénéfices
Audrey : J’entends beaucoup d’humilité et surtout que ta priorité, c’est l’humain. Quels sont les bénéfices selon toi ?
Julien : J’ai une équipe motivée et soudée. Je vois que les gens se sentent bien, qu’ils ont envie de s’impliquer. Parfois, quand j’ai beaucoup de boulot, ils se sentent peinés pour moi ce qui prouve qu’il y a une vraie compréhension et empathie aussi.
Je ne dirais pas qu’on est une "grande famille" (je n’aime pas trop cette expression parce qu’en famille, on ne se rémunère pas !), mais on s’apprécie beaucoup. Parfois, pour m’embêter, ils m’appellent le patron, ils savent que je n’aime pas ça.
Je ne me considère pas comme un patron mais plutôt comme quelqu’un qui avait un projet, une mission et qui essaie de le partager, notamment sur les salaires, le télétravail et l’ambiance. Tout le reste s’est fait tout seul.
Le recrutement y joue beaucoup aussi. L’année dernière, par exemple, j’ai eu une alternance qui n’a pas fonctionné car on n’était pas aligné et donc le contrat ne s’est pas transformé en CDI. Mais ça a quand même déstabilisé l’équilibre de l’équipe.
A l’inverse, une nouvelle personne est arrivée il y a peu, elle est complètement alignée avec nous et ça a fait du bien à tout le monde.
Audrey : Finalement, tu as réussi à créer une vraie culture d’entreprise, même si vous êtes peu nombreux. Y a-t-il des choses que tu aimerais encore améliorer ?
Julien : Oui, bien sûr ! J’aimerais récompenser davantage mes collaborateurs, financièrement, moi y compris, dès que l’entreprise pourra se le permettre. Pour l’instant, on n’a pas encore mis en place de tickets restaurant, mais pourquoi pas. Je n’exclus pas non plus de passer à la semaine de 4 jours si l’équipe s’agrandit, aujourd’hui ce n’est pas faisable.
Audrey : Pour terminer, est-ce que tu aurais un message à faire passer à d’autres entrepreneur.e.s ou dirigeant.e.s ?
Julien : Oui : mettre en place une bonne qualité de vie au travail, ce n’est pas une perte, c’est un investissement.
Un salarié heureux et motivé sera toujours plus productif. Chez nous, en 6 ans, aucun employé n’a quitté l’entreprise.
Donc si je peux donner un conseil, ce serait d’investir dans le bien-être de son équipe parce que c’est gagnant-gagnant !
Merci beaucoup pour cet échange très inspirant Julien !
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Crédit photo Laureen LE RUNIGO - La Pause en Image